Au cours d’une mission, j’ai pu conduire un Scénic assez moderne en location. Et ça change de ma 206… J’ai roulé avec pendant 2 jours et je me suis rendu compte que la voiture a rendu ma conduite meilleure ! Compte-rendu.
Phase 1 : Découverte de la bête
Arrivé dans la voiture, je décide de brancher mon téléphone afin d’avoir un GPS. Je préfère utiliser mon téléphone, question d’habitude et je me rends compte qu’il y a une prise USB intégrée. Cependant, alors que les smartphones sont présents partout, il n’y a AUCUN endroit pour fixer ou même poser de manière stable mon téléphone pour une vision en paysage. Est-ce pour des raisons de sécurité ? Pas sûr, vu qu’il y a souvent des GPS intégrés maintenant…
Un des principes de l’ergonomie est basée sur l’observation en contexte. De nombreux utilisateurs n’utilisent pas les GPS intégrés car ils sont souvent moins pratiques, moins précis et plus contraignants que sur smartphone, ou tout simplement car il n’y en a pas. Ce pattern d’utilisation du smartphone est connu, il suffit de constater la grande quantité d’accessoires vendus en magasin pour fixer son téléphone en voiture. Mais beaucoup de nouveaux modèles qui sortent aujourd’hui ne sont pas pensés pour intégrer directement les smartphones dans l’habitacle. Peut-être qu’Apple CarPlay et Android Auto permettront de changer la donne en proposant des interfaces compatibles en s’affranchissant complétement du matériel. Pour le moment, il y a trop peu de modèles de voitures qui intègrent ces systèmes pour l’affirmer.
Vient le moment de démarrer. J’ai bien trouvé où mettre la clé carte. Le bouton Start est facile à trouver et simple à utiliser. Ce cas est intéressant puisqu’il change fondamentalement le pattern « clé + contact » en « carte + bouton ». Et c’est vraiment très intuitif ! Le design permet effectivement cela : en proposant un emplacement naturel pour ranger la carte et grâce à un bouton d’action simple, les utilisateurs comprennent directement ce qu’ils peuvent faire et comment ils doivent le faire.
Par contre, une contrainte énorme est apparue lors de mon appui sur START. La voiture m’annonce un message peu clair : on me demande d’enlever un frein, et je ne peux pas démarrer sans l’enlever. Je cherche donc le frein à main… qui a disparu…
Me voilà donc à chercher ce frein, appuyant sur tous les boutons et me résignant à chercher dans la documentation… Chercher dans la notice… Ca ne m’était plus arrivé depuis… Est-ce que ça m’est déjà arrivé ? Bref j’apprends qu’on ne dit plus frein à main mais frein de parking et qu’il faut appuyer sur le bouton 2 à 3 secondes pour qu’il se désactive. Et oui, j’ai appuyé dessus, mais pas assez longtemps… Ici le pattern frein à main versus frein de parking est beaucoup moins intuitif pour un novice.
Résultat : au bout de 10 min (!!!) j’arrive à sortir de ma place de parking. En soi, cette nouvelle approche n’est pas si gênante. C’est une question d’apprentissage. Mais tout de même, être obligé de consulter la documentation pour comprendre comment désactiver un frein bloquant la voiture est frustrant. Dans ce cas, il ne faut pas hésiter à guider davantage l’utilisateur à l’aide de messages explicites : par exemple, un message du type « Pousser pour déverrouiller », inscrit dans la partie creuse aurait pu aider.
De manière générale, la prise en main d’un nouveau système sera toujours perturbante. La nature même du changement implique que l’on pousse les utilisateurs dans une situation inconfortable. Et c’est aux acteurs de l’UX (User Experience) de rendre cette situation la plus intuitive et adaptée possible.
Phase 2 : L’exploration commence
Une question de régulation
Me voilà donc parti. Un message s’affiche: « Alerte sortie de voie activée ». Je n’y fais pas vraiment attention et naturellement, j’ignore ce message. Je roule donc tranquillement et j’active le régulateur. Par chance, j’ai déjà pu utiliser cette technologie et je sais comment elle fonctionne. Je dois reconnaître que l’accès y est particulièrement simple : tout se fait par le volant. Le bouton de gauche me permet d’ajuster ma vitesse. Cependant, le bouton de droite a un fonctionnement plus obscur…
A nouveau, on retrouve des termes qui ne sont pas explicites. Le bouton R / O ne se suffit pas à lui même et on est contraint d’explorer afin d’en comprendre le fonctionnement. A l’appui sur R, je vois le terme « Régulateur » s’afficher sur le tableau de bord. Je comprend : R = Régulateur. Mais que veux bien dire ce O… Toujours en tâtonnant, je me rends compte que cela arrête le régulateur. J’en conclue que O = Arrêt. Etrange tout de même.
Je sais qu’il y a presque tout le temps une fonctionnalité de limitation de vitesse associée à un régulateur. Je me met donc à sa recherche et je la trouve finalement assez facilement. Je trouve les icônes moyennement explicites, mais je comprends.
Du coup, j’essaye en activant le commutateur sur la position limiteur… mais rien ne se passe. Honnêtement, à ce moment, je suis un peu perdu et je ne sais pas quoi faire. Par dépit, je veux retourner en mode Régulateur et j’appuie sur le bouton R du volant. Et là, c’est « Limiteur » qui s’affiche sur le tableau de bord ! Mon premier schéma mental était donc faux : R = Activer la fonctionnalité qui a été choisie près du levier de vitesse.
Dans ce cas, pourquoi ne pas être plus clair sur le libellé des boutons ? Joindre un libellé « Régu » ou « Limi » aux icônes serait efficace : le double codage de l’information, texte + image, permet de fixer plus facilement une information dans le cerveau. Et surtout, modifier le R/O par un simple On/Off avec les icônes de Régulation/Limitation à côté serait beaucoup plus clair !
Ici, la grosse difficulté est de faire comprendre que le bouton du volant est associé à celui qui est près du levier de vitesse. Sur ce point, il y a de vrais enjeux d’ergonomie et de design. On peut se poser la question à propos de l’emplacement du commutateur Régulation/Limitation. Pourquoi ne le retrouve-t-on pas sur le volant avec toutes les autres commandes ? Je suis persuadé qu’il trouverait sa place sans perturber la conduite.
Parlons de l’automatisation
Ce qui est bien dans les nouvelles voitures, c’est que tout est automatique. Les phares, les essuie-glaces avant, les essuie-glaces arrière… Parlons-en 2 minutes : en ergonomie, la notion de contrôle est capitale. Si je n’ai pas d’impression de maitrise, alors j’ai tendance à stresser, c’est humain. Et ici j’ai stressé… Ou du moins, j’étais frustré : alors que j’avais coupé complétement mes essuie-glaces arrière, ils se déclenchaient de manière erratique. Peut-être l’humidité, peut-être autre chose, bref la moitié du voyage, ils ont fonctionné pour rien ET JE NE POUVAIS PAS LES ARRETER ! Quand je constate ce genre de situation, je me dis que l’utilisation généralisée des Google Cars ne sera pas pour demain…
Néanmoins, cette automatisation a quand même du bon. On se concentre sur la route et on ne pense même plus à allumer ou éteindre les différentes fonctionnalités. Bref, on roule l’esprit libéré.
Et oui, la voiture du futur veut être plus sûre. Elle cherche à réduire la charge cognitive et à guider davantage les utilisateurs. Malheureusement, ce n’est pas toujours très clair. Je me rends compte que la voiture fait un bip de temps à autre. Je ne perçois aucune raison pour cela, ce n’est ni l’accélération, ni le frein, ni une fonctionnalité spécifique. Je me rends compte qu’une icône spécifique s’affiche à chaque fois qu’il y a un bip.
Une voiture à 3 roues ? Non… c’est une voiture qui passe au dessus d’une ligne. Me voilà bien avancé, je ne comprend toujours pas… Puis, vient un moment où j’ose doubler sans clignotant. « Biiip ». Cela m’aura pris environ 4h de conduite, mais je viens de comprendre. Cette option fait sonner la voiture lorsque l’on double sans clignotant ou quand on décroche un peu sur la voie d’arrêt d’urgence par exemple. Du coup je fais le lien avec le message incompréhensible que j’avais vu au tout début : « Alerte sortie de voie activée ».
Cette fonctionnalité apporte vraiment de la valeur. Elle ajoute un aspect sécurité et respect du code de la route afin de réellement avertir et améliorer la conduite. A nouveau, on se rend compte que la compréhension n’est pas évidente alors qu’on répond à un réel besoin.
Quoiqu’il arrive, une session de tests utilisateurs aurait aidé à déceler les problèmes d’incompréhensions des libellés très rapidement. Des problèmes liés à la complexité de la fonction sortie de voie seraient aussi apparus. Les prendre en compte aurait contribué à l’amélioration de l’expérience utilisateur globale. C’est en travaillant avec les utilisateurs que les acteurs de l’UX arrivent à évacuer de nombreux problèmes liés aux produits.
Phase 3 : Le trophée de chasse
Vient le moment de se garer. Modernité oblige, le radar de recul s’affiche et m’aide en m’affichant l’orientation que prend ma voiture. Classique mais efficace.
A ma grande surprise, lorsque je coupe le moteur, une intrigante fenêtre apparaît.
Score total : 53/100. Accélération 5/10. Boite vitesses 1/10. Anticipation 8/10. Ce tableau n’est pas très clair. Je sens que je peux faire mieux mais je ne sais pas trop comment. Que veut dire au juste améliorer ma boite de vitesses… Après quelques observations, je m’aperçois que le compte-tour possède une fonctionnalité intéressante : la voiture me propose une indication pour avoir un bon passage de vitesse à l’aide d’une icône claire. Comme dans Need for Speed ! (Un des modes de ce jeu propose une course où il faut passer les vitesses au bon moment pour optimiser sa conduite)
A l’image du jeu, je cherche le « passage de vitesse parfait ». De manière standard, le tableau de bord numérique affiche un compte-tours habillé d’un halo bleu-vert. Il affiche l’icône et colorise l’interface en vert clair quand il est temps de passer la vitesse supérieure. Ainsi, il n’est même pas nécessaire de regarder le tableau de bord pour savoir quand changer de vitesse, notre vision périphérique suffit. Et on a le même principe avec une icône qui a une flèche vers le bas pour savoir quand bien rétrograder. Honnêtement, je suis épaté par cette fonctionnalité.
En plus de cela, le compteur reste aussi au vert lorsqu’il est en vitesse nominale, c’est-à-dire lorsque l’on est dans le meilleur rapport vitesse/consommation. Ce qui est fou, c’est que je me suis même surpris à rouler moins vite pour respecter ce compteur (et pour améliorer mon score, il ne faut pas l’oublier !). 118km/h au lieu de 130.
Pour le coup, je vois une vraie valeur ajoutée à cette fonctionnalité : je vais conduire potentiellement moins vite, mais je vais aussi moins consommer (donc moins polluer). Et le résultat est là puisque j’ai réussi à améliorer mon score. 71/100 ! (J’avais réinitialisé ce tableau pour pouvoir comparer sur une période de temps semblable).
C’est en allant sur le site officiel que j’ai pu en apprendre davantage sur ces 3 critères, tous liés à l’éco-conduite :
- Accélération : mesure la fréquence et la puissance des accélérations. Renault privilégie une conduite souple.
- Boîte vitesses : mesure la qualité des passages de vitesse. Renault recommande de passer en 3ème dès 30km/h, en 4ème dès 40 km/h et en 5ème dès 50km/h
- Anticipation : mesure le freinage qui est fait grâce au frein moteur. Renault recommande de lever le pied de l’accélérateur 300m avant un obstacle.
Etudions davantage ce cas : je suis en train de dire qu’un score m’a motivé à rouler moins vite. C’est quand même phénoménal ! En réalité, ce système est basé sur de la gamification, c’est à dire qu’il hérite de mécanismes venant du jeu.
D’après Bénédicte Saulem, experte en marketing, la gamification vise à exploiter la disposition naturelle de l’homme à jouer. La dopamine, qui est une molécule secrétée dans le cerveau lorsque l’on joue à des jeux vidéos, est à l’origine du plaisir lié à la récompense. Elle permet notamment de percevoir plus facilement un message puisqu’elle met l’utilisateur dans de bonnes dispositions. Le tableau d’éco-conduite cherche ainsi à faire passer un message à travers une note, le but étant d’atteindre le meilleur score possible.
Par ailleurs, maîtrise, autonomie et sens sont les 3 piliers de la gamification, d’après Sebastian Deterding, designer et chercheur américain. On retrouve effectivement ces 3 aspects dans l’écran d’éco conduite.
- D’abord la maîtrise : j’ai tout de suite vu que je pouvais améliorer mon score vu que j’étais noté sur 100 et que je suis passé de 53 à 71 points.
- J’ai ensuite progressé de manière complètement autonome : je n’ai pas eu besoin de me renseigner quelque part pour pouvoir évoluer.
- Enfin, et c’est le pilier ici qui est le moins solide ici, le sens. Globalement on comprend ce qu’il y a derrière les termes Accélération, Boîtes vitesses et Anticipation. Cependant, les actions à effectuer derrière ne sont pas évidentes au premier abord. A nouveau, une phase d’exploration est nécessaire pour valider notre compréhension initiale et il n’y a pas de moyen simple pour comprendre comment réellement performer. En effet, si j’avais voulu atteindre les 90 points sans m’être renseigné, je n’aurais jamais su comment faire. Une idée : proposer une explication plus aboutie lorsque l’on clique sur le libellé concerné décrivant précisément comment sont calculés les scores.
De manière globale, la gamification a plusieurs objectifs : fidéliser les clients, attirer un nouveau public ou encore sensibiliser. Les utilisateurs utilisent déjà régulièrement leur véhicule et ce n’est pas le fait de rendre l’expérience ludique qui les fera acheter, les considérations sont autres (design, prix, taille…). Dans notre cas, c’est seulement la sensibilisation qui est souhaitée.
L’ensemble des fonctionnalités mises en place pour atteindre le tableau des scores est assez efficace et bien conçu. Bien sur, tous les conducteurs ne seront pas sensibles à cela. Malgré tout, le bénéfice en termes de sécurité routière et d’économie est indéniable puisqu’on ne peut qu’y gagner, même s’il n’y a qu’un petit nombre d’utilisateurs impliqués.
La gamification a donc bel et bien sa place dans des environnements très variés. Il suffit de bien réfléchir aux usages pour la rendre pertinente ! Les acteurs de l’UX sont indispensables pour pouvoir proposer une expérience optimale dans ce marché porteur qu’est la gamification: il représente aujourd’hui 242 millions de dollars dans le monde, avec une prévision de 2,8 milliards de dollars en 2016.
Epilogue
Aujourd’hui je suis fier de pouvoir dire « Cette voiture m’a appris à mieux conduire ». Le bip lors du dépassement sans clignotant et la caméra de recul m’ont aidé à optimiser ma trajectoire et ma façon de conduire. L’automatisation m’a permis de me concentrer exclusivement sur la conduite. L’éco-conduite gamifiée m’a aidé à optimiser ma consommation et de manière liée, ma vitesse. Et tout ça en 2 jours. Impressionnant.
Les nouvelles technologies ont amené de nouveaux patterns. Certains sont clairs et efficaces, d’autres non. On voit aussi que des problèmes récurrents apparaissent : manque d’indications, manque d’intuitivité, manque d’intégration avec d’autres outils. La plupart du temps, des tests, des interviews ou de l’observation permettraient d’évacuer beaucoup de problèmes. On a l’impression que la technique prend le pas sur l’expérience utilisateur dans le domaine automobile. Il y a encore des progrès à faire et les métiers de l’UX sont de plus en plus présents pour s’assurer de la bonne prise en compte des utilisateurs finaux.
Mon aventure s’arrête ici. Retour à la vie réelle, aux 130 km/h (sur autoroute bien sûr) et aux essuie-glaces manuels. Je me rends compte que je n’ai aucune motivation à améliorer la consommation dans ma voiture actuelle maintenant. C’est marrant.