La synthèse au format experience map est téléchargeable plus bas en PDF. La vidéo de cette interview est disponible en bas de page.
Jeudi 11 mars 2021, j’ai interviewé Alison Dussure, 29 ans, éducatrice spécialisée travaillant en maison d’enfants. Son implication, sa bonne humeur et tous les moments de vie qu’elle a partagé m’ont beaucoup touché, particulièrement dans son contexte difficile puisqu’il s’agit d’enfants qui peuvent avoir subi des négligences ou de la maltraitance physique ou sexuelle. Nous avons passé une heure et demi ensemble en direct pendant lesquelles les spectateurs pouvaient aussi soumettre leurs questions. Découvrons ensemble ses expériences !
Mais avant de commencer, éducateur spécialisé, c’est quoi ?
L’éducateur spécialisé travaille pour permettre à une personne en difficulté d’agir sur elle-même et sur son environnement afin d’améliorer sa condition sociale, éducative, psychique ou matérielle.
Il accompagne toute personne ayant des difficultés sociales. Par le soutien qu’il apporte et par les projets qu’il élabore, il aide les personnes en difficulté à restaurer ou à préserver leur autonomie, à développer leurs capacités de socialisation, d’intégration et d’insertion. Il peut donc travailler avec des personnes ayant des problèmes d’addiction, auprès de femmes victimes de violences conjugales, etc.
Pour sa part, Alison est spécialisée dans la protection de l’enfance. Elle travaille en maison d’enfants, anciennement appelée foyer ou orphelinat. Elle intervient dans le service gardien qui protège et surveille les enfants confiés par un juge. Elle a 5 autres collègues éducateurs qui l’épaulent et la relaient. Les enfants dont elle s’occupe ont moins de 12 ans et leur accompagnement peut durer de quelques mois à quelques années. Ils seront ensuite redirigés dans des familles d’accueil ou d’autres structures adaptées à leur âge. Le plus jeune des 10 enfants avec lesquels elle travaille a 4 ans.
Alison, qu’est-ce que t’évoque le métier d’éducatrice spécialisée ?
L’accompagnement, car on va aider les gens, pas faire pour eux. C’est toujours quelque chose que j’ai bien aimé faire. Partager des moments avec les gens, les aider quand je le peux.
Ensuite la communication, c’est d’ailleurs la base de notre métier. Communiquer avec des enfants, je pensais que c’était très limité et en fait ça s’avère beaucoup plus compliqué que ce que j’imaginais. Les petits je les trouve très empathiques et je dois adapter mon langage et les mots que j’utilise. Surtout, il faut que je les laisse parler, sans forcément reformuler, sinon l’enfant va me dire « oui c’est ça ». En reformulant, je peux mal interpréter la parole de l’enfant et lui porter préjudice dans la suite de son placement.
Les paroles que l’enfant va me confier, je vais devoir les transmettre, à mes collègues ou a l’Aide Sociale à l’Enfance si c’est inquiétant. Si c’est reformulé de la mauvaise manière, cela peut être dangereux. On a fréquemment eu des enquêtes auprès de parents qui ont abusé de leurs enfants. Ces derniers ont pu nous confier avec leurs mots d’enfant ce qu’ils ont vécu. Il faut qu’on fasse très attention à ne pas reformuler avec nos mots d’adulte car on peut interpréter des gestes qui ne se sont peut-être pas produits. Si l’enfant nous parle de « zizi dans la bouche », il ne faut pas que j’utilise de mot comme fellation car ce n’est peut être pas du tout ce qu’il s’est passé. L’enfant quand il va en reparler il va dire « non, j’ai fait un bisou, je l’ai pas mis dans ma bouche en fait ».
Il faut donc faire attention et adapter notre langage et notre compréhension des choses puisque l’on a des comptes à rendre à l’Aide Sociale pour l’Enfance. Les enfants doivent régulièrement revoir le juge, au minimum une fois par an. Les parents sont là, ils évoquent la situation, on voit où est-ce qu’on en est et est-ce qu’on maintien le placement de l’enfant ou non. Avant ce rendez-vous avec le juge, on doit avoir transmis un rapport où on évoque le quotidien de l’enfant : comment ça se passe à la maison, avec les autres enfants, avec les adultes, à l’école, avec les parents, l’hygiène, la santé, etc. Les dossiers que nous devons constituer sont donc très documentés.
Quel moment de grande joie as-tu déjà vécu ?
Parfois on me dit que ça doit être dur d’être éducatrice spécialisée. Mais au quotidien, moi je ne trouve pas. On a souvent des moments de rires et de joie, on ne parle pas toujours de souffrance. En plus, en ce moment, on a un groupe calme qui s’exprime rarement avec violence.
Le dernier moment de joie que je me rappelle, c’est un moment du quotidien, qui m’a rendu tellement fière ! J’accompagne un enfant qui a des troubles neurologiques. Quand il est arrivé chez nous, à 4 ans, il ne mangeait pas seul, ne marchait pas seul, ne parlait quasiment pas. Ca fait quelques temps que je travaille avec lui pour qu’il apprenne à s’habiller tout seul. Et il y a un matin où j’entends qu’il m’appelle. C’était juste pour me dire qu’il avait réussi à mettre le bas de son pantalon, mais j’étais tellement fière ! C’est comme si on avait gagné un truc de ouf ! C’était un moment qui était pour moi vraiment très bien ! C’est des petites victoires du quotidien et je me rends compte que c’est ce qui me fait aimer ce métier.
Un moment de grande peur ?
Avant je travaillais à la Maison Départementale de l’Enfance, qui est un foyer d’accueil d’urgence des enfants et c’était un endroit vraiment très violent. Tellement que j’en ai fait un mémoire sur la violence. J’ai d’ailleurs eu le coude fracturé, une cote pétée quand j’y étais, car parfois il y a des altercations.
On accueillait des enfants assez violents, dont un qui se faisait beaucoup maltraiter dans le groupe. C’était vraiment impressionnant, le groupe le maltraitait énormément. Dans sa posture, il suscitait quelque chose qui poussait les autres à le harceler. Un jour j’étais seule et j’entendais que les enfants l’appelaient par son prénom alors qu’ils étaient dans la cour, pour qu’il se jette du 2ème étage. J’ai couru tellement vite et je le vois, devant la fenêtre grande ouverte. Je l’ai rattrapé par son pull pour le tirer à l’intérieur, j’ai eu tellement peur ! Ca s’est joué à quelques secondes avant qu’il y ait une catastrophe… J’ai eu vraiment très très peur.
Un moment qui t’a beaucoup énervée ?
La colère que je ressens souvent, c’est vis-à-vis des institutions. Le système scolaire s’adapte très difficilement à des enfants qui sont en grande difficulté. Toujours à propos du même enfant dont je parlais tout à l’heure, il est scolarisé dans une classe où il y a beaucoup d’enfants et il parle peu. Gérer un enfant comme lui c’est compliqué. Il n’est pas violent, mais a de vrais problèmes de communication.
J’ai remarqué qu’il revenait régulièrement avec le visage tuméfié. Un jour, je vois sa maitresse qui accompagne cet enfant jusqu’à la porte de l’école, qui me le tend et qui me dit au revoir. Il me montre son visage et je vois des plaies ouvertes sur son visage. Je retourne la voir et je lui demande ce qu’il s’est passé. Et elle me dit : « Ah oui, j’ai demandé aux parents de couper les ongles de leurs enfants ». Du coup j’étais très énervée ! C’est quoi cette réponse ? Je pense qu’elle est dépassée, mais quand même !
Une situation qui t’a beaucoup attristée que tu aurais envie de nous partager ?
On a accueilli un jeune dont la mère ne s’occupait pas, qui n’était pas présente pour lui. Il avait organisé une brocante et sa mère lui avait dit qu’elle viendrait. Nous on se doutait qu’elle ne viendrait pas mais lui il avait de l’espoir. Même s’il sont maltraités, les enfants ont beaucoup d’attente vis-à-vis de leurs parents. Du coup il prépare sa brocante et il nous demande de ramener des choses pour les vendre. Il était très motivé.
Deux semaines avant la brocante, sa mère ne lui donne plus de nouvelles. Vient le jour de la brocante, il s’était levé à 7h car il faut se lever tôt pour la brocante. Et à 8h, quand je suis arrivée, il était toujours en train d’attendre sa mère, qui n’est jamais venue. Après il a explosé et a voulu tout casser, mais parce qu’il était en souffrance. Et moi j’étais tellement triste pour lui, ça m’a touché. Et même la violence qu’il nous a renvoyé, je la comprenais, c’était très injuste pour lui.
L’experience map d’Alison, éducatrice spécialisée : un dimanche type au sein de la maison d’enfants
Au cours de l’interview, nous construisons ensemble une experience map. Cette synthèse d’une journée type permet de comprendre les différentes étapes qui sont vécues ainsi que les émotions associées. Cet outil a l’avantage de faire comprendre d’un coup d’œil les pics émotionnels au travers de son expérience. Les citations permettent d’illustrer ces émotions.
Vous pouvez télécharger cette experience map au format PDF dans le lien juste en dessous.
Quel conseil donnerais-tu aux personnes qui veulent faire comme toi ?
Passez par l’école. Même si elle est payante et que c’est difficile de trouver des stages, je pense qu’elle est indispensable. Elle nous permet de savoir si on est fait pour ce métier ou pas.
La formation est là pour nous révéler, elle va nous bousculer. Etre obligé de travailler sur des projets c’est important en tant qu’éducateur spécialisé. J’ai pu voir certaines personnes qui n’étaient pas faites pour ce métier et elles faisaient plus de mal aux résidents qu’autre chose. Elles manquaient aussi d’aide et d’accompagnement : se faire envoyer de la violence, des insultes, des coups, si on y est pas préparé, cela peut être très dur !
Plus d’infos sur l’émission Tez’experiences
Ce 11 mars 2021, j’ai entamé une nouvelle émission sur Twitch : Tez’experiences. Etant amené à régulièrement réaliser des interviews dans mon travail, j’ai décidé d’interviewer des personnes aux activités « atypiques » en direct sur Twitch. Les interviews se déroulent en 3 grandes étapes :
- la présentation de l’activité
- le quart d’heure émotions
- la synthèse d’une journée type avec l’experience map
Pour avoir le programme des futures interviews, c’est sur Twitter.
Les prochaines interviews seront sur ce blog (abonnez-vous à la newsletter en bas de page) et sur Youtube (abonnez-vous :p).
Si vous connaissez des personnes susceptibles d’être intéressé pour cet exercice, ou si vous-même vous aimeriez être interviewé, envoyez moi une description de ce que vous faites via ce formulaire de contact !
A bientôt 😉